Pesticides, alimentation, bio : le Grand Est face au défi d’une agriculture durable…

Publié le 25 avril 2025 par Pauline Grenier

Pesticides, alimentation, bio : le Grand Est face au défi d’une agriculture durable…

En Grand Est, plus de la moitié du territoire est dédié à l’agriculture : adopter un modèle d’exploitation durable est donc une nécessité pour notre région. Un défi qui sera largement débattu lors de l’événement Ici On Agit, le 26 avril 2025 au centre Prouvé à Nancy. Un rendez-vous porté par les journaux du Groupe Ebra : L’Est Républicain, Le Républicain Lorrain, Vosges Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace et l’Alsace. Ce modèle durable devra passer par des évolutions concernant les politiques conduites en matière d’intrants, de pesticides notamment. Pas une mince affaire ! 

Produire et s’alimenter en Grand Est : un défi durable

Adopté en première lecture au Sénat le 27 janvier dernier, la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur a suscité un vif débat.

                                                     Franck Menonville 

Franck Menonville, sénateur (UDI) de la Meuse a été l’un des parlementaires à l’origine de ce texte expliquant : « L’agriculture française est en plein décrochage. Aujourd’hui, on a l’une des pires balances commerciales européennes. Cette loi vise à apporter des simplifications pour s’aligner sur les dispositifs européens. Car on en demande beaucoup à nos agriculteurs alors qu’on est très peu regardants sur ce qu’on importe. Sur les sept familles de néonicotinoïdes, par exemple, deux n’ont jamais été autorisées car dangereuses pour les abeilles, quatre sont interdites au niveau européen et nous trouvons cela normal, et une a le label Abeilles et est autorisée dans tous les pays européens sauf le nôtre. Il s’agit d’empêcher que certaines filières, comme la noisette ou la betterave, ne disparaissent à cause de mesures franco-françaises prises sans études d’impact, créant cette concurrence déloyale. Il faut éviter ces surtranspositions qui pénalisent nos capacités de production alors que l’Europe a déjà un haut niveau de sécurité. »

Un point de vue affirmé, à l’heure de l’urgence agricole, qui se heurte pourtant à une série d'analyses très différentes.

Dominique Potier : « Une permanence des impacts sanitaires »

Rapporteur de la commission d’enquête parlementaire qui a dénoncé « un échec collectif » à réduire l’usage des pesticides, Dominique Potier, député PS de la 5ᵉ circonscription de Meurthe-et-Moselle en Lorraine, ne jette pas la pierre aux agriculteurs. Le changement attendu, explique-t-il, ne peut pas avoir lieu sans accompagnement.

" Vous avez été rapporteur de la commission d’enquête sur l’échec des politiques publiques en matière de maîtrise des pesticides en agriculture. Quels ont été les prérequis ? " 

                                                     Dominique Potier

« Le premier était de prendre exclusivement appui sur des expertises scientifiques solides et des rapports d’inspection de l’État dont nous avons permis la publication. Le second était de tracer des chemins qui concilient souveraineté alimentaire, revenu agricole, santé environnementale et humaine. »

" L’étude parlementaire révèle « un échec collectif à réduire notre empreinte chimique ». Il y a pourtant urgence, non ? "

« En effet, notre commission d’enquête met à jour une permanence des impacts sanitaires, une aggravation de ceux sur la biodiversité et notamment les milieux aquatiques avec une alerte sur nos captages d’eau. Mais il faut aussi regarder ce qui fonctionne. Grâce à l’indépendance de l’Anses et de l’Autorité européenne, les molécules les plus dangereuses (CMR 1 et 2) ont été interdites et des solutions alternatives comme le biocontrôle sont en plein essor. À ce sujet, je mets en garde ceux qui remettent en cause l’indépendance des missions de l’Anses. Ce serait rompre avec la conception de la science et de la démocratie à laquelle nous sommes attachés. La science ne doit pas être contrôlée par des intérêts privés mais servir le bien commun. Nous devons, au contraire, consolider le régime d’autorisation des pesticides en l’harmonisant à l’échelle européenne. Autre point positif, les agriculteurs sont mieux protégés aujourd’hui qu’hier. J’ai ainsi porté un fonds d’indemnisation en 2020 pour les travailleurs de la terre et les enfants contaminés in utero. Enfin, le labo grandeur nature des fermes Dephy nous confirme que la baisse des phytosanitaires en agriculture est compatible avec une certaine productivité ».

" La France est loin d’atteindre ses objectifs de réduction de pesticides, que faire pour avancer ? "

« Il faut renouer le fil entre recherche et développement. Si aucune technosolution n’est à écarter, il faut surtout travailler sur l’agronomie, la rotation des cultures, la protection des prairies, la mosaïque paysagère. L’immobilisme n’est pas une option ! L’attention à la santé des sols est la garantie de la productivité future. Ce changement ne pourra pas se faire sans accompagner la transition, sans une mobilisation de l’industrie agroalimentaire et une prise de conscience du juste prix de la nourriture.»

" Si on utilise des pesticides c’est aussi pour lutter contre la concurrence déloyale. Comment voyez-vous les choses ? " 

« La colère des agriculteurs français face à la concurrence déloyale est légitime. En écho à la commission d’enquête, nous avons fait adopter à l’unanimité, le 30 janvier dernier, une résolution européenne sur les conditions d'un "juste échange" entre l'Union européenne et ses partenaires commerciaux. L’idée est de contrôler les produits importés non pas à leur arrivée en France, mais en amont, dans les fermes des pays exportateurs. Nous souhaitons que les normes européennes s’imposent à ceux qui veulent exporter des produits et des services vers l’Europe. En réciprocité et dans un souci de justice, nous avons œuvré pour interdire l’exportation depuis l’Europe de substances chimiques interdites sur le territoire européen. »

" À quoi ressemble ce juste échange ? "

« Il repose sur de vraies mesures miroirs. Nous proposons simplement que les normes que nous nous imposons soient respectées par ceux qui veulent exporter des produits et des services vers l’Europe et qu’on généralise les principes du commerce équitable. Notre agriculture ne pourra être durable et nous ne pourrons nous affranchir des pesticides qu’à cette condition. Nous savons que les contrôles dans les ports et les aéroports sont lacunaires. C’est donc à la source qu’il faut contrôler les productions. Nous devons inverser la charge de la preuve et obliger nos partenaires commerciaux à certifier par un organisme indépendant le respect de la santé des Hommes et de celle de la Terre. »

" Une autre notion qui revient souvent quand on parle de production agricole, c’est celle de souveraineté alimentaire. Par quoi passe cette souveraineté ? "

« La priorité est de stopper le recul massif de l’élevage. Cela passe par une vraie politique d’installation des jeunes agriculteurs et une régulation du marché foncier qui rompe avec l’accaparement. Dans la bascule géopolitique que nous connaissons, nous ne pourrons pas garantir notre souveraineté alimentaire tant que nous serons dépendants des énergies fossiles - qu’elles viennent de Russie ou d’Algérie - pour produire nos engrais azotés. Même défi pour les protéines animales ou nous devons nous affranchir du soja américain. Pour reconquérir notre souveraineté alimentaire, nous devons donc réduire notre dépendance et mettre en place des systèmes qui garantiront une meilleure autonomie à l’échelle territoriale et européenne. »

Les achats de substances pesticides dans le Grand Est

Découvrez la carte des achats de pesticides à l’échelle départementale.

Source : www.generations-futures.fr/geophyto, chiffres 2022 • Visualisation : Pierre-Loïc Mattler, EBRA MEDIAS.

Le prosulfocarbe, un pesticide contesté explose dans l’Est de la France

Le prosulfocarbe est devenu le pesticide de synthèse le plus utilisé en France, surpassant le glyphosate. Son utilisation a notamment explosé alors qu’elle n’est pas sans effets indésirables et entraîne des polémiques. Décryptage avec Xavier Reboud, directeur de recherches à l'INRAE.

Le prosulfocarbe est partout autour de vous. Utilisé principalement pour les grandes cultures (céréales, pommes de terre, carottes...), ce pesticide a vu son usage exploser ces dix dernières années. En Lorraine, les quantités achetées de cette substance ont été multipliées par 6. En Franche-Comté, par 3. Son efficacité contre les mauvaises herbes, qui n'ont pas encore développé de résistance à ce produit contrairement à d'autres, explique son succès.


Des lots d'agriculture biologique contaminés...

Le "hic": le prosulfocarbe présente des inconvénients majeurs. Très volatil, il peut contaminer des cultures biologiques et des potagers privés. Ainsi, plus de 400 agriculteurs biologiques depuis 2018 ont été contraints de détruire des lots (sarrasin, cresson, persil, pommes, poires...) contaminés au prosulfocarbe. Ils n'ont pas été indemnisés, du fait de l'impossibilité de certifier l'origine de la contamination. 

Et des risques pour la santé ?

La fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab) a formulé un recours en justice contre l'autorisation de ce pesticide. Tout comme l'ONG Générations Futures, qui demande le « principe de précaution » face au manque de connaissances sur les possibles impacts sur la santé. « L'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) n'a pas classé ce produit comme cancérigène, mutagène ou reprotoxique », commente Xavier Reboud, directeur de recherches à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). « Maintenant, là où on manque peut-être de données, c'est sur la question de savoir si ce produit peut interagir avec d'autres molécules et se retrouver dans des stratégies dites cocktails, où un individu déclencherait un symptôme qu'aucune molécule à elle toute seule ne déclencherait ». Pour limiter les effets indésirables du prosulfocarbe, sa réglementation a été renforcée : interdiction à proximité des cultures bio, limitation des doses et obligation d’un matériel spécifique pour limiter sa dispersion. Son usage est pour le moment autorisé jusqu'au 31 janvier 2027. L'Union européenne devra prochainement trancher sur la prolongation ou non de la mise sur le marché de ce produit.

Découvrez la suite de l'article.