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Jean Jouzel : « Réussir la transition, c’est un merveilleux projet à l’échelle planétaire ».

Découvrez le point avec Jean Jouzel, scientifique mondialement reconnu, et engagé pour l’environnement !




En tant que paléoclimatologue, quel regard posez-vous sur la situation actuelle ?


Ce qui m’a toujours intéressé, c’est en quoi regarder le passé permet d’appréhender ce vers quoi on va. Nos activités réchauffent l’atmosphère. Et ce que nous vivons aujourd’hui, c’est ce que notre communauté scientifique envisage depuis une cinquantaine d’années : la hausse des températures, l’élévation accélérée du niveau de la mer, l’intensification d’événements extrêmes, canicules, sécheresses à répétition, fortes intempéries.

L’évolution du climat dépend l’évolution de l’effet de serre, en premier lieu lié à l’utilisation de l’énergie fossile. Les scientifiques ont été capables d’appréhender ce qui allait se passer. Il faut donc faire confiance à ce que nous disons, à savoir que nous allons vers un réchauffement important, au moins de 3 degrés dans les prochaines décennies.


Inéluctablement ?

À l’échéance des vingt années à venir, c’est déjà joué : nous allons de façon irrémédiable vers un réchauffement de l’ordre de +1 degré, en France d’ici 2050. Le message est très clair : il y a d’une part nécessité absolue de s’adapter à ce réchauffement, d’autre part nécessité de limiter ce réchauffement afin de préserver les capacités d’adaptation dans la deuxième partie du siècle. L’accord de Paris fixe + 2 degrés, voire +1,5 degré en moyenne, ce qui permettrait à ceux qui sont jeunes aujourd’hui de garder cette capacité d’adaptation. Pour cela, c’est aujourd’hui qu’il faut agir, changer de trajectoire. Sinon, il sera impossible de s’adapter dans certaines régions.


À l’égard de cette trajectoire, que pensez-vous de l’élection de Donald Trump ?

Le climatoscepticisme reprend vigueur. En particulier celui de Donald Trump, qui prend les rênes du deuxième pays émetteur. Or, le retrait de l’accord de Paris pourrait entraîner d’autres pays. Ce serait le coup de grâce pour cet accord, dont les objectifs sont déjà hors d’atteinte. Toutefois, je n’aime pas être pessimiste. Même aux États-Unis, la transition est en route, avec des programmes sur lesquels il sera difficile de revenir.


Donc, on agit ?

On parlait de +5 degrés il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, on est plutôt sur trois degrés. On ne peut pas dire que rien ne s’est fait. Plus d’une centaine de pays affichent l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. La France en fait partie et planifie 55 % d’émissions en moins par rapport à 1990 à l’horizon 2030. Mais je ne suis pas sûr qu’on met tout ce qu’il faut sur la table pour y parvenir. L’urgence n’est pas du tout prise en compte par le monde politique.


Qu’est-ce qui vous énerve ?

Le manque d’engagement de la classe politique au sens large. On voit bien que c’est recul après recul. J’ai participé au Grenelle de l’environnement, à beaucoup de colloques, de comités. La convention citoyenne pour le climat a émis beaucoup de propositions ambitieuses, lesquelles n’ont pas vraiment été retenues. Cela m’a déçu. Même s’il y a une certaine prise de conscience des décideurs politiques, force est de constater qu’il y a un fossé entre les objectifs affichés et ce qui est fait. On va dans le mur en termes de réchauffement.


L’écologie est-elle compatible avec notre modèle de société ?

Cela dépend du modèle de société. Il y a une différence entre l’ultralibéralisme de Donald Trump, clairement incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique, et un capitalisme moins sauvage. La première chose à faire serait de donner un prix au carbone. La qualité de l’environnement a un prix. Le climat ne peut pas se réchauffer indéfiniment. C’est inacceptable.


De là à aller vers la décroissance ?

Certainement pas en termes d’emplois pour le moment, pas en termes de qualité de vie. Mais je ne crois pas que le PIB continuera de croître indéfiniment. Si on veut préserver notre environnement au sens large, la sobriété est indispensable dans notre mode de développement collectif. Il n’y a rien de rébarbatif à cela. On doit se placer dans la perspective d’une transition, qui peut fournir des emplois intéressants, une bonne qualité de vie, moins de pollution… Il n’y a pas de raison majeure de refuser cette transition. Oui, le réchauffement et la perte de la biodiversité interrogent notre modèle de société. C’est éminemment politique.


Existe-t-il des points de non-retour ?

On parle beaucoup de ces seuils. Il y a les forêts, qui se portent mal, avec en France, le puits de carbone pratiquement divisé par deux en dix ans. Il y a la fonte du Groenland, le dégel du Permafrost , la circulation océanique, et on ne peut hélas pas exclure l’élévation du niveau de la mer de six ou sept mètres d’ici 300 ans… Ces points sont inquiétants, mais je préfère insister sur le fait que l’élévation de trois degrés entraîne des conséquences tellement difficiles qu’il faut tout faire pour les éviter. C’est jouer avec le feu que de laisser le réchauffement climatique continuer. Or, c’est maintenant qu’on en décide. Il n’y a pas besoin d’évoquer les points de non-retour pour dire que la situation est grave.


Vous préférez pourtant être optimiste. Pourquoi ?

Parce que techniquement, il est possible de construire un développement planétaire autour du renouvelable. C’est possible, à condition d’une solidarité internationale. Réussir la transition, c’est un merveilleux projet à l’échelle planétaire. C’est possible, souhaitable et même indispensable si on veut garder une qualité de vie globale sur la planète.




Un article rédigé par un journaliste du journal Le Progrès

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